Contexte et définition du gain écologique
La notion de gain apparaît dans la LOI n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages au chapitre « Compensation des atteintes à la biodiversité ». Est ainsi édicté le principe selon lequel : « Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visent un objectif d’absence de perte nette, voire de gain de biodiversité. » Elle est reprise dans l’Article D163-1 du Code de l’Environnement au chapitre des Sites Naturels de Compensation, de Restauration et de Renaturation (SNCRR), sous la dénomination de gain écologique : « Le gain écologique attendu de ces opérations est mesuré par des unités de compensation, de restauration et de renaturation selon une méthode de calcul fiable et transposable. »
Mais cette notion de gain de biodiversité ou gain écologique est complexe à définir. Qu’est-ce que la biodiversité, comment la quantifier, comment évaluer ensuite une ou des évolutions ? |
Le programme POGEIS (projet d’inventaire national des sites à potentiel de gain écologique) porté par l’Office Français de la Biodiversité (OFB) apporte des premières réponses. Pour répondre aux besoins de ce programme, un cadre technique et méthodologique national a été défini pour apprécier le potentiel de gain écologique d’un site terrestre [1]. Pour cela un ensemble de critères intra et extra site sont évalués.
[1] https://www.cerema.fr/fr/actualites/methode-evaluation-du-potentiel-gain-ecologique-sites

Figure 1 : Exemple de graphique présentant les résultats obtenus dans le cadre du programme POGEIS à l’échelle d’un site (Source CEREMA)
Ce programme définit le gain écologique comme « […] l’amélioration obtenue, en termes d’état de conservation d’une espèce, ou en termes de fonctionnement écologique du milieu concerné par une telle action. Il s’évalue en comparant l’état initial du site restauré et l’état final après restauration écologique. » Cependant, cette définition renvoie à un ensemble de termes imprécis ou mal définis, comme « état de conservation d’une espèce » et « fonctionnement écologique du milieu ».
Le guide de mise en œuvre d’une approche standardisée du dimensionnement de la compensation écologique (CGDD, 2021) donne une définition complémentaire du gain de biodiversité : « Plus-value écologique générée par la mesure de compensation, mesurée pour chaque composante et éléments de biodiversité du milieu naturel affecté par rapport à l’état initial. » Ici encore, cette définition renvoie à plusieurs termes génériques (« biodiversité », « plus-value écologique », « composante et éléments »).
Ainsi, on constate que cette notion de gain de biodiversité, intimement liée à des fondements de l’écologie fonctionnelle très complexes, reste mal définie. De ce fait, ce principe pourrait devenir insondable ou à l’inverse être approché de manière trop simplificatrice. |
Dans quel cas a-t-on besoin de mesurer un gain de biodiversité ?
Le cas le plus usuel de la notion de calcul de gain de biodiversité, plus fréquemment dénommé gain écologique, est retrouvé dans le cadre de la démarche Eviter/Réduire et éventuellement Compenser (ERC) au regard de la réglementation de protection des espèces (Code de l’environnement : articles L411-1 à L411-3). Cette dernière stipule notamment que sont interdits « […] la destruction, l’altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux. Ces interdictions s’appliquent aux éléments physiques ou biologiques réputés nécessaires à la reproduction ou au repos de l’espèce considérée, aussi longtemps qu’ils sont effectivement utilisés ou utilisables au cours des cycles successifs de reproduction ou de repos de cette espèce et pour autant que la destruction, l’altération ou la dégradation remette en cause le bon accomplissement de ces cycles biologiques. » [2] Ces articles viennent d’une part protéger un ensemble d’individus d’espèces, mais aussi protéger les habitats de ces espèces dans le cas où des impacts viendraient remettre en cause le bon accomplissement de leurs cycles biologiques.
Le gain écologique est ainsi le plus souvent à définir dans le cadre d’une démarche de compensation écologique. Il est à évaluer au regard d’impacts résiduels portés à une ou des espèces protégées et leurs habitats. Une dette écologique est définie, composée d’un ensemble de pertes, et des gains doivent être trouvés en regard via une ou des mesures de restauration ou de création d’habitat d’espèce. Par ailleurs, s’applique un critère d’équivalence [3], selon lequel les gains écologiques générés par les mesures de compensation doivent être écologiquement au moins équivalents aux pertes de biodiversité qu’ils compensent (correspondance a minima en nature, en quantité et en qualité fonctionnelle, aux pertes de biodiversité [4]).
[2] Ici encore, plusieurs critères complexes à caractériser (« réputés nécessaires », « utilisables », « remette en cause », « bon accomplissement », etc.)
[3] art. L. 110-1 et L. 163-1 du code de l’environnement
[4] Guide pour l’élaboration d’un site naturel de compensation (CGDD 2023)

Figure 2 : Schéma de principe simplifié de l’évaluation des pertes et gains écologiques dans le cadre d’une démarche de compensation écologique (Dervenn)
Les méthodes d’évaluation de gains existantes
Principes généraux
Plusieurs approches sont proposées au sein de guides nationaux, selon une démarche méthodologique générique avec exemples d’applications. Le guide de mise en œuvre d’une approche standardisée du dimensionnement de la compensation écologique met en avant 2 principes méthodologiques impliquant des calculs de gains : les Méthodes d’équivalence par pondération et les Méthodes d’équivalence par écarts de milieux [5]. Les calculs comparent l’état ou la capacité d’accueil des milieux avant/après mesures.
[5] Voir aussi Truchon H., de Billy V., Bezombes L., Padilla B., 2020 – Dimensionnement de la compensation ex ante des atteintes à la biodiversité – État de l’art des approches, méthodes disponibles et pratiques en vigueur. Office français de la biodiversité
Ce guide précise bien que le choix de la méthode de dimensionnement des pertes et gains est libre : qualitative, quantitative, ou une combinaison des deux [6].
Dans tous les cas, afin d’évaluer un avant et un après, il apparaît nécessaire de se baser sur un cadre de référence donné pour justifier d’un gain écologique. Ce cadre n’est pas donné par les guides existants. Le Guide pour l’élaboration d’un site naturel de compensation (CGDD, 2023) donne quelques pistes au travers de la définition du potentiel de gains d’un site compensatoire qui « […] dépend notamment au regard de ses caractéristiques intrinsèques, de son emplacement et de son insertion dans la trame paysagère, compte tenu des techniques de génie écologique disponibles. » Il cite les critères suivants : État de dégradation du terrain (par rapport à un état de référence sans dégradation anthropique)[7], Dynamique écologique du terrain et des populations et Caractéristiques pédologiques, hydrologiques et climatiques compatibles avec les objectifs de la compensation, Surface du terrain suffisamment importante pour que les actions de génie écologique soient efficaces, Capacité de charge potentielle [8] du milieu suffisante, exemption de Menaces et sources de pressions, Proximité de réservoirs écologiques contenant des éléments de biodiversité similaires à ceux visés.
[6] L’Approche standardisée impose cependant : que la méthode choisie soit explicitée et son choix justifié ; que la même méthode de dimensionnement soit utilisée pour apprécier les pertes occasionnées par l’aménagement ou le projet, et les gains obtenus sur le ou les sites de compensation, afin de limiter les risques de surestimation des gains et de sous-estimation des pertes.
[7] « Cet état de dégradation s’appréhende au regard d’un état proche d’un état naturel ou du meilleur état écologique atteignable ». Est donc sollicité un état de référence non précisé.
[8] « densité (ou abondance) à l’équilibre d’une population non perturbée ». Critère complexe à évaluer…
Analyse de quelques méthodes appliquées
Dans le cas de la méthode Eco-Med [9] présentée dans le guide de mise en œuvre d’une approche standardisée, un ensemble de 4 critères sont évalués, dont le critère de structure des communautés végétales et habitats, avec un ensemble de sous critères évalués au travers de notes de 1 à 10. Ces derniers se voient attribuer la meilleure note au regard de composantes descriptives qualifiées, par exemple la stratification, les pratiques de gestion, la présence d’espèces exotiques envahissantes….
[9] Basée sur Pioch S., Méchin A., 2016 – Une méthode expérimentale pour évaluer rapidement la compensation en zone humide; La méthode MERCIe : principes et applications
Le cadre de référence de cette méthode qualitative est ici un ensemble de critères de composantes d’habitats basés notamment sur la référence des cahiers d’habitats Natura 2000. Méthode de calcul simple au premier abord, mais fastidieuse. |
Dans le cas de la méthode ECOVAL [10], 6 critères sont évalués (Connectivité, Diversité, Fonctionnalité, Patrimonialité, Pression, Représentativité) au travers de 107 indicateurs, à l’échelle d’un site. Les valeurs d’indicateurs sont définies sur la base de données bibliographiques ou d’autres méthodes plus génériques de qualité écologique (Indice de Qualité Ecologique (IQE) du MNHN).
[10] Lucie Bezombes, 2017 – Développement d’un cadre méthodologique pour l’évaluation de l’équivalence écologique : Application dans le contexte de la séquence « Éviter, Réduire, Compenser » en France. Agriculture, économie et politique. Université Grenoble Alpes, 2017
Le cadre de référence de cette méthode qualitative est ici un ensemble de critères de composantes d’habitats basés notamment sur la référence des cahiers d’habitats Natura 2000. Méthode de calcul simple au premier aLe cadre de référence n’est pas explicitement précisé ici, la méthode étant quantitative (valeurs des 107 indicateurs). Méthode de calcul fastidieuse, et analyse du gain complexe au premier abord. |
Par ailleurs, dans le cas des 2 Sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation agréés récemment, 2 approches différentes sont proposées :
SNC de l’Abbaye de Valmagne à Villeveyrac et Montagnac (34)[11] : des critères ont été définis pour chaque série d’habitats visés servant de base à la définition des unités compensatoires, en fonction de leur dynamique régressive ou progressive. Des listes d’espèces associées aux habitats visés sont précisées. Chaque habitat se voit ainsi attribuer des caractéristiques selon un stade dit d’évolution progressive ou d’évolution régressive, au regard de la « qualité des fonctions écologiques et des milieux ». Ces caractéristiques varient et peuvent par exemple être structurelles (strates, recouvrement, continuité, largeur), de composition (cortèges végétaux, etc.) ou de dégradations (rudéralisation, appauvrissement / banalisation, embroussaillement…).
Chaque habitat visé est qualifié en stade, de niveau 1 à niveau 5, selon une gradation inversée entre évolution progressive ou évolution regressive. La plus-value écologique (ou gain écologique) est qualifiée par la différence de niveau entre deux états : l’état initial (ou état de référence) et l’état visé (ou état final à l’issue de l’opération). Un coefficient est affecté à chaque stade : un coefficient de 1 pour le stade 1 (faible), à un coefficient de 5 pour le stade 5 (majeur). Le delta entre les 2 coefficients d’état initial et final est ensuite affecté à la surface visée par la mesure pour obtenir le volume de gain, qui équivaut au volume d’unités compensatoires.
[11] https://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/demande-d-agrement-site-naturel-de-compensation-de-a2982.html
Le cadre de référence de cette méthode qualitative est ici un ensemble de critères de composantes d’habitats Le cadre de référence de cette méthode qualitative correspond à un ensemble de critères homogènes d’habitats mais aux composantes variables (structure, composition, dynamique, gestion/perturbations…), gradés en niveaux de qualité (stades), semble-t-il à dire d’expert. Méthode de calcul complexe au premier abord. |
SNC du Cros du Mouton à Sainte-Maxime (83)[12] : des critères ont été définis au regard d’espèces cibles pouvant bénéficier d’unités compensatoires (habitats) : Tortue d’Hermann, Lézard ocellé, Cortège d’oiseaux des milieux semi-ouverts (2 espèces cibles + autres), Cortège d’oiseaux des milieux boisés clairsemés (1 espèces cible + autres). La méthodologie d’évaluation du gain retenue passe par la définition d’indicateurs de qualification du niveau d’intérêt d’un milieu au regard d’une espèce ou d’un cortège d’espèces cible, puis l’évaluation du niveau d’intérêt des milieux, puis la projection du niveau d’intérêt des milieux après mesures. 5 niveaux d’intérêt sont définis avec note associée (intérêt négligeable noté 1, à intérêt très fort noté 5). Le gain correspond à la différence de note entre le niveau d’intérêt projeté et le niveau d’intérêt observé à l’état initial. La qualification de l’intérêt se fait par espèce cible au regard de critère, par exemple pour la Tortue d’Hermann sont retenus des Caractéristiques des habitats (composition, structure) avec parfois plusieurs habitats par niveau d’intérêt, Pratiques de gestion, Menace incendie et Autres sources de menaces, Densité surfacique d’individus. Chaque critère est sous-tendu par une bibliographie. Le Lézard ocellé fait l’objet seulement des critères Caractéristiques des habitats et Densité en gîtes principaux, tandis que les cortèges d’oiseaux ciblés font seulement l’objet des critères Caractéristiques des habitats. La moyenne des niveaux d’intérêt est multipliée par la surface pour en donner le gain. Enfin, la somme des gains est divisée par la surface totale [1].
[12] https://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/demande-d-agrement-site-naturel-de-compensation-de-a2983.html
[13] Il est précisé « bénéficiant d’un gain » mais l’exemple présenté p.78 prend en compte une surface ne bénéficiant pas de gain. A préciser.
Le cadre de référence de cette méthode qualitative est ici un ensemble de critères de composantes d’habitats Le cadre de référence de cette méthode qualitative correspond à un ensemble de critères hétérogènes (critères pris en compte variant selon les cibles espèces (habitat, gestion, menaces…) gradés en niveaux dits d’intérêt, basés explicitement sur des données bibliographiques. Méthode de calcul simple au premier abord. |

Synthèse et enseignements
De ces constats, nous retenons plusieurs points forts à conserver et points faibles à optimiser. Ainsi, il convient selon nous de définir une méthode d’évaluation de gains écologiques qui :
- Se doit d’être compréhensible et simple à mettre en application. L’objectif étant de la mettre en œuvre parfois au regard de nombreux habitats et espèces protégées, un trop grand nombre de critères, formules et coefficients ne permettra pas sa compréhension par le plus grand nombre ni son application efficace pour les utilisateurs. Cette complexité pourrait parfois amener à en limiter la pertinence du fait d’indicateurs interdépendants ou redondants, même s’il est tentant de se rapprocher d’une « vérité » écologique.
- Evalue un écart entre l’état initial et l’état projeté après mesure au regard d’une référence.
- Se base sur un cadre de référence rigoureux : des critères, composantes et une gradation homogènes, des composantes définies sur des bases reconnues d’écologie ;
- Est établie au regard d’habitats cibles en tant qu’unités permettant l’accomplissement du cycle biologique des espèces. Définir une méthode de gains au regard de chaque espèce et de leurs exigences détaillées, de surcroît dans des contextes biogéographiques variés, semble impossible et trop variable notamment dans le cas de la compensation à la demande. Par ailleurs, une évaluation à l’échelle de site[14], c’est-à-dire de complexes d’habitats, met de côté les composantes de détail de l’état de conservation des habitats le composant. Enfin, l’entrée habitat permet de faciliter la justification de l’équivalence écologique (nature, quantité et qualité fonctionnelle [15]).
- Prend en compte les exigences écologiques particulières d’espèces spécialistes. En complément d’habitats génériques favorables aux espèces ubiquistes, il convient de définir des habitats d’espèces particuliers au regard d’espèces spécialistes dans le cas où des impacts résiduels significatifs ont été relevés.
- Prend en compte la matrice écologique au sein de laquelle s’insère l’habitat ciblé par la mesure. Le cycle de vie des espèces animales dépend de leur domaine vital et s’étend donc au-delà d’un habitat et d’un site donné. Par ailleurs, un ensemble de dégradations ou perturbations peuvent s’appliquer en dehors de l’habitat et pourtant l’affecter directement ou indirectement.
[14] Entrée retenue par la méthode POGEIS précitée, et reprise dans la Grille d’évaluation de la pertinence écologique des Sites Naturels de Compensation, de Restauration et de Renaturation (SNCRR) (INRAE, 2023)
[15] Cf. Guide pour l’élaboration d’un site naturel de compensation (CGDD 2023)
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